Je pensais qu’il me manquait un
petit quelque chose pour être pleinement intégré. Je me disais que
cette petite chose était de l’ordre de l’expérience. Pas un
truc mystique, non, pas du tout. Un truc que tout le monde connaît,
mais un truc qu’on ne trouve qu’ici. La preuve « qu’on y
était ». LA chose à raconter à ses petits enfants pour les
épater.
Alors voilà, j’ai fait mon petit
palu, comme tout le monde.
Samedi dernier, on était sortis en
cabaret pour fêter dignement l’anniversaire du président de la
chorale de l’université. La musique étant d’un niveau sonore
élevé, je ne m’étais pas étonné d’avoir mal à la tête en
ressortant. Mais j’ai trouvé bizarre qu’à quatre heures du
matin, je sois réveillé par des tremblements. Ce ne pouvait pas
être la musique qui provoquait ça, à moins que je ne sois l’objet
d’un envoutement. Je vérifie ma température, 39. OK, bon, je vais
essayer de trouver quelqu’un pour m’amener chez un médecin. Il
fallait vraiment que ce soit un dimanche matin à 4 heures, histoire
de bien montrer à quel point je peux faire fi des convenances.
C’est Timothée Bouba qui m’a
amené à l’hôpital. La médecin de garde me propose
l’hospitalisation, mais Timothée préfère éviter d’abord cette
option, elle me prescrit alors des cachets. On rentre, je me recouche
et passe une journée de dimanche à dormir.
Lundi matin, je descends à
l’administration de l’université pour signaler à mes étudiants
que je ne pourrai pas donner cours. Je croise alors Timothée qui me
demande comment je me porte. C’est vrai que ça ne va pas
franchement mieux, surtout au niveau intestinal. On repart tout de
suite à l’hôpital. Arrivé à la salle d’attente, je m’assoie
en attendant mon tour. Au moment où le médecin m’appelle, je suis
en pleine montée, incapable de bouger, le chauffeur (Philippe) qui
m’avait amené et l’étudiant qui m’accompagnait ont dû me
soutenir pour rejoindre le cabinet.
Le diagnostique est rapide, les signes
ne trompent pas. Après les questions d’usage du genre « Êtes-vous
allergique à la quinine ? », on m’amène dans une
chambre. Le cadre est sympathique, calme, mais... c’est au fond
d’une vallée et plein de moustiques. On me branche ma perfusion et
je me sens rapidement mieux. Ce n’est pas encore le traitement,
c’est juste de quoi se rétablir physiquement sans soigner le mal.
Les odeurs sont tenaces dans cette chambre, l’hygiène n’a pas
les mêmes standards qu’en France.
Le mardi, l’analyse de la prise de
sans de dimanche est connue, le palu est confirmé, on peut donc
passer au traitement par la quinine. Six perfusions sur trois jours.
Autant la maladie n’a plus d’effet sur moi, je n’ai plus les
symptômes du palu, autant les effets secondaires de la quinine sont
intenses : assourdissements, sifflements, vertiges, nausées
(avec les odeurs de la chambre, bonjour !), fatigue. La
perfusion aussi se fait de plus en plus douloureuse. Et dire qu’il
faut tenir trois jours !
Heureusement que lorsqu’on est
malade, on profite de la présence des proches. C’est
indispensable, puisqu’il n’y a pas de service de restauration à
l’hôpital : il faut que des proches amènent de quoi nourrir
les malades. J’ai bien une télévision dans la chambre, mais elle
ne diffuse que deux chaînes camerounaises et la télé camerounaise,
c’est un peu abrutissant. Heureusement, j’ai pu profiter d’une
petite radio qu’on m’avait donnée avant mon départ (merci
Francine !) et je pouvais écouter Radio France International.
Jeudi soir, j’ai enfin pu rentrer.
Mais ce fut aussi un parcours du combattant : il fallait d’abord
attendre la fin de la perfusion, qui eut lieu juste avant le
changement de service. Bon, il faut attendre la passassion de
pouvoir. Puis on a attendu 2 heures avant que l’infirmière arrive.
C’étaient les deux plus longues heures de toute mon
hospitalisation. Savoir que c’est fini mais qu’on ne peut pas
encore partir est une petite torture. Et le clou : arrivé
devant chez moi, je m’aperçois que je n’ai pas les clés, je les
avais confiées à mes amis pour qu’ils me ramènent des affaires
et ils les avaient données à la personne qui s’est chargée de
nettoyer mon studio pendant mon absence. Elle a eu la gentillesse de
revenir sur le champ pour m’ouvrir. Et c’est vers 21h30 que j’ai
enfin pu me poser, non sans quelque émotion de soulagement.
Ensuite, c’est encore trois jours de
traitement à la quinine en cachets. Les odeurs et les goûts sont
modifiés et persistants, l’appétit en subit des conséquences.
J’ai des vertiges. J’ai maigri (et oui, c’est possible !).
La fatigue reste mais au moins, je dors dans mon lit et je dors bien.
En me réveillant dimanche matin,
petit coup de blues : la semaine m’a permis de prendre le
temps de la réflexion. J’ai pris le parti de prendre ma situation
comme une expérience à vivre et une opportunité pour apprendre des
choses. C’est mieux que de se lamenter sur son sort. Mais je me
suis aussi rendu compte qu’il y avait plusieurs choses que je
voulais faire ici et que je n’ai toujours pas pu faire. C’est une
bonne occasion pour m’y mettre.